BIBLIOTHÉRAPIE : RENCONTRE AVEC… LA FÉE CAROLE MARTINEZ

C’est l’histoire de Blanche, une petite fille dont le récit se conjugue avec celui de son fantôme, la Vieille âme. Nous sommes en 1361. Blanche a 11 ans et demi et voudrait savoir écrire les lettres de son prénom pour les broder au fil rouge sur sa chemise.
A l
occasion de la sortie de La Terre qui penche publié chez Gallimard, (lire la chronique ICI), la romancière Carole Martinez revient sur les dessous de son troisième roman placé sous le signe  de l’enfance, du merveilleux et de la résilience.  

ENTRETIEN AVEC UNE BRODEUSE DE MOTS  SOUS PERFUSION POÉTIQUE

C.-MARTINEZ

Comment est né ce roman à deux voix, alternant les récits de Blanche, une petite fille et de son fantôme, « la vieille âme » ?
J’ai assisté à une semaine d’intervalle à deux magnifiques lectures de mon roman précédent Du domaine des Murmures dans lequel un premier fantôme, nommé Esclarmonde, nous racontait sa vie de jeune femme, de recluse et de mère. Marie-Christine Barrault tirait le texte du côté sombre de la très vieille âme, décortiquant la jeune femme, jugeant la femme qu’elle avait été des siècle auparavant, elle nous embarquait du côté de l’esprit. Christiane Cohendy a lu le même texte quelques jours plus tard, mais elle a choisi de dessiner une Esclarmonde toute jeune, toute pleine de sensations et d’appétits, elle nous offrait un corps vibrant, une présence lumineuse.

J’aime l’idée de permettre à deux moments d’une même personne de se rencontrer. Je voulais mesurer comment se fabriquent un souvenir, une enfance, une vie.

Un même texte portait deux lectures, deux facettes d’un même personnage. J’ai décidé de scinder mon héroïne suivante en deux voix. Blanche est une très vieille âme qui hante le Domaine des Murmure, un peu aigre, pleine d’ennui, qui écoute son enfance se raconter au présent et se laisse contaminer par son discours. la veille âme analyse ce que la petite file qu’elle a été se contente de vivre. La vieille âme se souvient en écoutant la petite fille, elle s’émerveille, elle reprend vie, elle goûte, elle voit, elle entend, elle tremble, elle qui n’a plus de corps. J’aime l’idée de permettre à deux moments d’une même personne de se rencontrer. Je voulais mesurer comment se fabriquent un souvenir, une enfance, une vie. 

Blanche est une petite fille, dure et tendre à la fois, lucide et en même temps pleine de cette poésie propre à l’enfance. Qu’y a-t-il de vous dans ce personnage ?
Enfant, j’étais très imaginative, le jour j’habitais un monde merveilleux. Mais la nuit mon imaginaire se retournait contre moi et tentait de me dévorer. Combien de nuits ai-je veillé en lisant des poèmes à voix haute pour lutter contre le silence et la peur, attendant les premiers chants des oiseaux pour parvenir à tordre le cou aux créatures monstrueuses que je m’inventais, pour m’endormir enfin ? J’étais pleine de contes et de cauchemars qu’écrire me permettait de maîtriser.

Vos personnages continuent-ils de vous habiter une fois l’écriture du roman achevé ?
Non, à l’exception de ceux qui reviendront. La Dame Verte a encore des choses à vivre, je n’ai pas exploré toute sa force, tout son potentiel féérique. Etrangement, le roman terminé, les personnages ne m’appartiennent plus, ils deviennent les créatures du lecteurs. Je ne me mêle plus de ce qu’il en fait. Je tremble pour eux, j’ai peur qu’ils ne trouvent pas leur route, qu’ils ne soient pas aimés, que vous n’ayez pas envie de les suivre, j’ai peur qu’ils restent seuls et incompris, mais je ne suis plus là, dans le livre à côté d’eux. Je ne peux plus grand chose pour eux. Et je coupe le fil.

Dans vos romans, le réel et l’imaginaire, le visible et l’invisible se côtoient, s’enchevêtrent pour ne former qu’une seule réalité. Est-ce votre vision du monde ?
Oui, mais un peu malgré moi. Ma grand-mère croyait en beaucoup de choses, elle avait des prières pour guérir et était persuadée que je pouvais voir les morts. J’ai toujours ri de ses superstitions, de ses frayeurs, de ses certitudes, mais malgré moi, tout cela, cet univers merveilleux dont elle était la gardienne, m’est passé dans le sang.

Vos romans donnent vie à des femmes mues par une force créatrice qui les pousse à transcender leur destin. En quoi est-ce important pour vous de raconter et de mettre en scène le Féminin ?
Sans doute car je suis la descendante d’une femme jouée et perdue au jeu par son mari, d’une femme qui a ouvert une lignée de résistantes en partant seule avec ses enfants sur les routes, une lignée qui, en s’offrant ce conte de Frasquita Carasco en héritage (seul héritage), se donnait force et courage, et courait après une autonomie, un pouvoir sur soi-même, sur ses désirs.

Apprendre à écrire pour s’écrire un destin. Voilà le pouvoir !

Et en cherchant dans l’histoire des femmes, on découvre tant de blancs, tant de silences, que l’envie peut soudain vous prendre de tendre l’oreille et d’imaginer leurs murmures, de peupler ce silence. Dans mon premier roman , Anita, la conteuse, affirme que ce qui n’a pas été écrit est féminin. Alors, je me mets au boulot.

Pourquoi écrivez-vous ?
Pour le plaisir !

Un conseil de lecture ?
Dans les livres de la rentrée, j’ai beaucoup aimé : Sorj Chalandon, « Profession du père », « Otages intimes » de Jeanne Benameur et « L’oiseau du bon Dieu » de James Mcbride.

 


La bibliothérapie de Carole Martinez

  • L’oratorio de Noël de Göran Tunström : Son gigantesque souffle romanesque nous emporte sur trois générations, nous promène à fleur de peau dans la petite ville suédoise de Sunne, nous fait toucher au sublime, à la folie, à la grâce. Un chef d’oeuvre !
  • Tandis que j’agonise de William Faulkner : Des voix soliloquent autour du cercueil d’une mère. Le père, qui a décidé de conduire la dépouille de sa femme en ville pour l’y enterrer, impose une folle odyssée à ses enfants. Les éléments semblent se liguer pour empêcher la cohorte familiale d’avancer.

  • La vie devant soi d’Emile Ajar : J’avais dix-huit ans quand j’ai trouvé ce livre chez les parents de mon ex. C’était le soir de notre rupture, il me fallait un texte pour respirer entre deux sanglots. « La vie devant soi ». Un titre idéal pour une gamine persuadée que le soleil venait de s’éteindre. J’en ai oublié ma peine !

  • Si tout n’a pas péri avec mon innocence : Un roman d’Emmanuelle Bayamack-Tam à la fois cintré et bouleversant, plein de rires et de larmes. Un livre féroce et poétique, une œuvre sur l’enfance qui vous prend à la gorge et qui serre.

  • Ce que je sais de Véra Candida : la dinguerie poétique de Véronique Ovaldé souligne l’énergie des résiliantes que sont ses grandes héroïnes. L’histoire d’une lignée de femmes contée par une voix exceptionnelle. Un bonheur de lecture traversé de poissons volants !

 

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