Je place un papier blanc sur la table et j’attends que les mots, attirés par la luminosité viennent s’y prendre » (Christian Bobin, L’Inespérée, Folio, 1996).
Attendre et laisser parler les mots. J’aime cette idée si contraire à tout ce qu’on nous enseigne, à l’école en particulier.
En France, pays cartésien par excellence, les mots et les livres sont synonymes de connaissance, de savoir, pieds et poings liés à une « culture savante » chevillée à l’intellect.
Sortir du cadre, entrer dans le corps
Il y a cette idée très ancrée que lire, et plus encore écrire, serait réservé à ceux qui « savent », reléguant tous les autres en dehors de la « zone de culture protégée ». C’est ainsi qu’on entend souvent ces derniers proclamer « je n’aime pas lire, je n’aime pas écrire ».
Le livre fait peur, le livre intimide… tant on l’associe au mental. Le livre est pourtant l’occasion d’une rencontre du corps et de l’esprit dont les effets sont insoupçonnés !
Lire à voix basse, lire à voix en haute. Lire en mouvement. Lire un texte en dansant, en marchant. Ecrire de travers, de toutes les couleurs, écrire des phrases ou juste des mots. Sortir du cadre, entrer dans le corps. Pour découvrir l’infini des possibles.
Dans L’art de lire ou comment résister à l’adversité (Belin, 2008), l’anthropologue Michèle Petit montre comment des adultes mais aussi des enfants, peu lettrés et confrontés à des catastrophes naturelles, des conflits armés, parviennent ainsi à recoudre les fils de leur vie grâce à des contes et des histoires.
Recoudre les fils de sa vie avec des histoires
Dans un espace libéré d’attentes, d’objectifs et de résultats, où s’invitent les silences, l’imaginaire et l’intuition, le Verbe se déploie un peu à la façon du génie sortant de sa bouteille.
Dans Souviens-toi de ta Noblesse (éditions Le Grand Souffle, 2008), Marie Milis fait le même constat. Professeur de mathématique et d’éthique à Bruxelles, elle demande à ses élèves, des collégiens, de rédiger un poème selon une pédagogie inédite qu’elle a théorisée et appelée « Auto-louange ». Héritée d’une pratique ancestrale africaine, cette méthode consiste à écrire puis proclamer un texte qui parle de soi, sans mensonge mais en grossissant le trait.
Réveiller « l’enfant aux cheveux blancs »
Exercice compliqué… surtout pour des adolescents dont le parcours est jalonné d’échecs et d’exclusions.
Et pourtant, le résultat est là, époustouflant…
Je suis Eclair
Je brille de toute ma beauté
Papillon, je vole à ailes déployées
Je ne permettrai pas d’échouer sur un banc de sable
Et de casser mes ailes
Je suis l’héroïne de ma vie
Je suis la lumière de la lune
Ma vie est rivière sous les tempêtes
Je suis la lumière qui jamais ne s’éteint
(Svetlana)
Et « le Verbe fut » !
En prenant conscience de notre grandeur et de notre beauté, nous nous reconnectons à ce que l’écrivaine Lorette Nobécourt appelle « l’enfant aux cheveux blancs », cet être impermanent, par nature créatif et dansant, qui nous habite en silence et ne demande qu’à se réveiller !
Quand nous lisons, nous mobilisons notre corps et adaptons – consciemment ou non – notre respiration.
Et nul besoin de lire l’intégral de Tolstoï ou de Proust pour en ressentir les bienfaits. Une étude réalisée par Mindlab international à l’université de Sussex (Royaume-Uni) souligne que lire un livre réduit le stress de 68% et ce, dès le sixième minute.