BIBLIOTHÉRAPIE : RENCONTRE AVEC SOPHIE PETERS

Sophie Peters a le goût du mot juste et des analyses nuancées. Quand j’ai découvert son livre « Du plaisir d’être soi. Petit traité de navigation intérieure » (J’ai Lu, 2018), j’y ai ressenti la même force mêlée de douceur, une énergie semblable à celle éprouvée pendant la lecture de « Éloge du risque » de la psychanalyste et philosophe, Anne Dufourmantelle. Ici, point de conseils formatés ni d’injonctions démagogique mais une invitation à regarder l’infinie variation de (notre) ciel intérieur (…), à accueillir avec une conscience aigüe ce qui échappe et reste caché, en éprouvant la joie de (nous) sentir vivant ».

Sophie Peters, Europe 1

Enfant, Sophie Peters naviguait en mer Égée sur les traces d’Ulysse. Sur le bateau qui les menait tous les étés vers la Grèce, sa mère l’exhortait chaque jour à lire des extraits de l’Odyssée à voix haute. De ce rituel littéraire familial, Sophie Peters a conservé l’amour des livres et des grands auteurs. Aujourd’hui, elle n’hésite pas à les convoquer sur La libre Antenne qu’elle anime toutes les semaines sur Europe 1. Dans un paysage radiophonique souvent lisse, cette psychanalyste et coach y fait résonner sa voix bienveillante, à l’écoute d’auditeurs en quête de réponses sur leur vie.

ENTRETIEN AVEC UNE « VOIX » SINGULIÈRE, L’AMOUR DES LIVRES CHEVILLÉE AU CŒUR.

Le titre de votre livre est du « Plaisir d’être soi ». Pourquoi avoir choisi d’écrire sur ce thème ?

Je viens d’un pays où je n’avais aucun plaisir à être moi-même. Je pensais qu’il fallait lutter, batailler pour s’accomplir. Avec les années, j’ai découvert que l’on pouvait ressentir de la joie à cheminer vers soi, vers sa liberté et j’ai eu envie de le partager avec le plus grand nombre.

« Je viens d’un pays où je n’avais aucun plaisir à être moi-même. »


Dans votre livre, on ne trouve aucune injonction ni « méthode » qu’’il faudrait mettre en pratique. Dans quel état d’esprit l’avez-vous écrit ?

Ce livre est un voyage, l’aboutissement de mon propre cheminement. Je l’ai écrit comme on traverse un chemin. Je ne suis pas une « sachante » ! Il n’était pas pour moi question de donner de leçon de morale ni de livrer de méthode clé en main.

Concrètement, que signifie pour vous cheminer vers soi ?

Il s’agit de sortir de sa prison intérieure, de rencontrer sa propre vulnérabilité. Chacun peut se poser la question suivante : « Qu’est-ce que je veux vraiment pour ma vie ? Pour cela, il faut dépasser ses croyances, surmonter les obstacles.

Que peut-on mettre en oeuvre pour y parvenir ?

Ce chemin d’évolution est difficile, exigeant. Dans une société qui nous exhorte à la performance et au bien-être permanent, on a tendance à oublier que la souffrance est inhérente à la vie. La maladie, le deuil, les épreuves sont aussi des opportunités qui nous sont offertes pour évoluer. On a continuellement à apprendre de nos erreurs et de nos difficultés.

« Conquérir sa liberté »


Comme vous le soulignez justement, cette « navigation intérieure » peut être sujette à la houle et même aux tempêtes. Ce voyage – vous l’évoquez longuement dans votre essai – s’accompagne de sentiment de culpabilité et parfois même de trahison vis-à-vis des autres.

Trahir, c’est traverser ! Quand on chemine, on évolue, on change, on s’affranchit de ses croyances, de sa famille et on peut effet ressentir ce sentiment de trahison. C’est difficile comme gravir le sommet montagne. Cela demande du courage et de la détermination. Un passage nécessaire si l’on veut cheminer vers soi et conquérir sa liberté.

Devenir soi, plus encore, prendre du plaisir à être soi est souvent interprété comme une forme de narcissisme et d’égoïsme. Qu’en pensez-vous ?

Il y a un malentendu, cela n’a rien à voir avec de l’égoïsme, ni aucune forme d’égotisme. Il faut avoir le souci de soi au sens où l’entendait le philosophe Michel Foucault : s’autoriser à « devenir libre de soi ». On ne peut comprendre autrui si on ne se considère pas soi-même. Les deux sont intimement liés.

C’est le fameux « et » que vous citez souvent sur l’antenne d’Europe 1 lors de vos échanges avec les auditeurs ?

J’affectionne en effet particulièrement cette petite conjonction de coordination qui permet de relier ce qui de prime abord on voudrait opposer !

Votre livre est disponible en poche depuis quelques mois. Quels retours avez-vous eu de vos lecteurs ?

J’ai reçu beaucoup de témoignages de lecteurs, et notamment d’auditeurs de la Libre Antenne qui me disent que ce livre les a aidés. J’ai le sentiment qu’il remplit les mêmes fonctions que Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke que j’ai relu plusieurs fois. C’est un compagnon de route qui nous accompagne sur notre chemin intérieur.

Montaigne a été mon premier coach !


Sur l’antenne d’Europe 1, vous semblez chérir les livres et citez abondamment les auteurs. Quel rapport entretenez-vous avec la littérature ?

Les livres m’ont toujours accompagnée. Ils m’emmènent là je ne serai jamais allée. Parallèlement au travail d’analyse, des auteurs comme Montaigne ont été mes premiers coachs et m’ont inculqué le courage et la discipline.

BIBLIOTHÉRAPIE : RENCONTRE AVEC SERGE MARQUIS

Médecin et thérapeute spécialisé dans la santé mentale au travail, Serge Marquis est l’auteur d’un best-seller « On est foutu, on pense trop ! », publié aux Éditions de La Martinière. Après le succès incroyable de son essai, il revient cette fois avec un roman intitulé « Le jour où je me suis aimé pour de vrai » (Editions de la Martinière). Un récit qui se donne comme ambition de « soigner l’ego ».  Pour en parler, Serge Marquis met en scène un petit garçon, dont l’incroyable sensibilité n’a d’égale que l’égotisme de sa mère, une neuropédiatre  qui  « compte sur le cancer pour la rendre célèbre et donc heureuse ».
Qu’est-ce que l’ego ? Comment nous influence-t-il  au quotidien ? Comme en réduire l’influence  et tendre vers la paix intérieure ? Ce roman « feel good » livre de précieux conseils pour apprivoiser cet ego qui nous en fait voir de toutes  les couleurs.

RENCONTRE AVEC UN ENFANT AUX CHEVEUX BLANCS ESPIÈGLE ET CURIEUX.

Votre dernier essai « On est foutu, on pense trop » a rencontré un grand succès. Pourquoi avoir choisi la fiction cette fois-ci pour parler de l’ego ?
Mon dernier livre a suscité beaucoup de questions de la part des lecteurs et je voulais y répondre différemment pour éviter de refaire le même livre ! L’idée était d’aller dans l’émotion, de présenter des scènes dans lesquelles les gens pouvaient se reconnaître. J’ai voulu montrer comment un personnage pouvait traverser les épreuves et trouver la lumière.

« J’ai voulu montrer comment un personnage pouvait traverser les épreuves et trouver la lumière. »

Comment est né ce personnage d’enfant? L’avez-vous réellement rencontré ?
Oui ! Dans le cadre de mes consultations en pédiatrie, j’ai rencontré un petit garçon âgé de 9 ans, souffrant d’une grave maladie pulmonaire. Il a été pour moi la confirmation qu’un enfant tel que mon personnage, Charlot, lucide et profond, pouvait exister.

Dans votre roman, Charlot pose des questions « sérieuses » balayées d’un revers de la main par les adultes. Etait-ce une manière de réhabiliter la parole des enfants ?
Je rêvais de faire un livre qui serait un dialogue entre une mère et son fils.

J’ai fréquemment rencontré des enfants qui arrivaient avec des questions existentielles mais qui n’étaient malheureusement pas pris au sérieux par leurs parents. C’est une façon de dire aux parents : prenez ces questions au sérieux ; n’imaginez pas que la vie s’en chargera. Entrez dans un dialogue, explorez avec eux même si vous n’avez pas toute la réponse.

C’est une problématique qui vous tient à coeur ?
Depuis que le livre est paru, certaines personnes me demandent s’il est possible qu’un enfant s’interroge de manière aussi profonde sur le sens de la vie. Je leur réponds évidemment par l’affirmative ! D’autres m’interpellent, comme cette maman qui me racontait que son petit garçon de trois ans lui avait demandé « maman pourquoi on meurt ? , « Pourquoi j’existe ? « . Des questions très profondes, existentielles, auxquelles on doit répondre de la même façon que si on s’entretenait avec un adulte.

Comment l’ego se construit-il ?
L’ego est extrêmement complexe. Je suis allé chercher des informations du côté de Freud, de Jung et même du bouddhisme. En orient, l’ego est une illusion alors qu’en Occident, on l’appréhende comme s’il s’agissait d’une entité solide. La réponse la plus satisfaisante m’est venue d’un philosophe, Krishnamurti qui suggère que l’ego n’a pas toujours existé et s’est construit au fil de l’évolution de l’humanité.

« Je compare souvent l’ego à un oignon qui fabrique constamment des pelures identitaires. »

Selon Krishnamurti, la première identification correspond à ce qu’on possède : c’est le procédé utilisé par la publicité. Le cerveau aujourd’hui ne font plus la distinction entre une véritable menace à la survie et une menace à une pelure identitaire : il déclenche une même réaction de lutte ou de fuite. Biologiquement, on secrète les mêmes hormones que si l’on était dans la jungle face au rugissement d’un fauve.
Cela a des conséquences importantes sur les jeunes qui ne font souvent plus la différence entre leur image et leur être. On en voit tous les jours les effets dévastateurs sur les réseaux sociaux.

Comment l’expliquez-vous ?
L’ego prend de plus en plus de place dans nos sociétés occidentales, ce qui entraine une confusion  entre le monde de l’être et celui de l’ego. Charlot découvre dans le roman  que le pouvoir de l’amour et de l’émerveillement permet de le dépasser. Lorsque l’on est dans l’ego, on fonctionne sur un mode défensif ou d’ajout. Par exemple, les personnes qui s’identifient à leur travail peuvent avoir le sentiment, quand leur situation professionnelle est mise à mal, qu’il s’agit d’une attaque à leur être, jusqu’à parfois se dénigrer totalement.

« Lorsque l’on est dans l’ego, on fonctionne sur un mode défensif ou d’ajout ».

Comme peut-on lutter contre l’ego ?
Il faut prendre conscience que l’ego n’est pas une menace et revenir au moment présent. Etre dans la présence, est la clé qui permet de retrouver l’essence même de son être. Sans présence, on ne peut pas aimer, savourer, s’émerveiller ».

C’est difficile dans un monde dans lequel la notion de réussite se construit autour de critères sociaux et matériels.
Effectivement. Certains jeunes que je rencontre associent souvent la réussite à l’argent, la célébrité et l’attention qui l’accompagnent. Je leur réponds que la réussite se mesure au temps qu’on aura vraiment passé dans la présence.

Peut on se débarrasser complètement de son ego ? Est-ce vraiment souhaitable ?
Personnellement je ne crois pas possible de m’en débarrasser  mais je fais le nécessaire pour ne pas rester focalisé sur les émotions négatives.

Le grand défi est d’observer l’activité de l’ego et de regarder comment il vient saisir mon attention. A partir du moment où l’on développe une vigilance, on peut revenir dans la présence.

«  Rappelle-toi que tout est offert et qu’il suffit d’être là (…) Rappelle-toi que rien ne dure et que tout est relié ».

L’ego a-t-il des fonctions positives ?
En psychiatrie, on considère que l’ego peut permettre à l’enfant, à une certaine période de sa vie, de s’affirmer, de se protéger, et de poser des limites. Pour ma part, je n’en suis pas convaincu. Je pense que si l’on donnait aux enfants un espace leur permettant de développer leurs talents dans la présence, on observerait peut-être que l’ego n’est pas nécessaire.

Quelles pratiques conseillez-vous pour être dans la présence ? La méditation ?
 Il est possible de méditer sans passer par une pratique telle qu’on l’entend traditionnellement. Par exemple, quand j’écoute une autre personne, que je l’écoute vraiment, je médite…
Dans le roman, Charlot le répète à sa mère qui ressasse et se disperse : « Reviens ici, Reviens ici… »
On peut méditer presque toute la journée dans ce sens là : être dans la présence, être sans arrêt vigilant car l’attention peut se laisser disperser facilement par le mental.
Méditer, c’est observer le fonctionnement de son esprit.

Votre roman a l’ambition de « soigner l’ego » et il donne de fait des clés pour mieux se rendre présent à la vie. De votre côté, quelles lectures vous ont guidé et « soigné » dans votre parcours ?
Romain Gary  mais aussi Christian Bobin, dont j’aime l’extrême sensibilité et Krishnarmurti ont joué un rôle important.
 De nombreux poètes comme Kundera, m’ont également accompagné dans mon cheminement et ma réflexion sur l’ego. Je pourrais également citer les livres de Mathieu Ricard et Christophe André… et d’une manière générale, toutes les personnes qui réfléchissement à la souffrance humaine.

 

BIBLIOTHÉRAPIE : RENCONTRE AVEC LEILI ANVAR

Ecrit à la fin du XIIème siècle par le poète soufi Farîd od-dîn ‘Attâr, Le Cantique des Oiseaux » (Editions Diane de Selliers) est considéré comme l’un des chefs-d’oeuvre de la littérature persane.
Cette épopée mystique conte l’histoire de tous les oiseaux du monde qui un jour se réunissent poussés par le désir de trouver leur Roi. Guidés par la huppe de Salomon, ils s’envolent vers la Simorgh, l’oiseau suprême, allégorie de l’Être divin. Pour parvenir  jusqu’au Trône royal, il leur faudra traverser les sept vallées successives du Désir, de l’Amour, de la Connaissance, de la Plénitude, de l’Unicité, de la Perplexité, du Dénuement et de l’Anéantissement, vaincre leurs peurs et quitter leurs attachements terrestres.
Magnifié par 207 miniatures persanes, turques et indo-pakistanaises du XIVᵉ au XVIIᵉ siècle, ce poème spirituel et méditatif nous parle du divin, d’amour. Et nous invite à cheminer vers l’absolu, à nous connecter à notre âme en nous débarrassant de tout ce qui nous encombre. Une ode à la Beauté doublée d’une quête initiatique universelle.

leili-anvar-au-festival-de-la-culture-iranienne-a-toronto-468« Le langage poétique atteint le cœur de celui qui sait l’écouter », souligne Leili Anvar qui a passé plus de quatre années à traduire Le Cantique des Oiseaux. Maître de conférence à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), cette spécialiste de la littérature persane et journaliste-productrice sur France Culture a opté pour une traduction en vers inédite qui rend merveilleusement compte de la résonance sacrée du poème.


ENTRETIEN AVEC UNE PORTE-VOIX LUMINEUSE ET HABITÉE DE LA POÉSIE PERSANE

Comment s’est faite votre « rencontre » avec Le Cantique des oiseaux ?
En Iran où je suis née, Le Cantique des oiseaux fait partie de la tradition orale ; il est raconté très tôt aux enfants. Quand j’ai fait mes des études en littérature persane, je l’ai relu dans l’exemplaire de ma mère qui l’avait annoté pendant ses études de persan ; ce qui était pour moi  particulièrement émouvant.

Plus tard, Diane de Selliers (l’éditrice) m’a demandé conseil sur la traduction qu’il fallait choisir. J’ai regardé et je lui ai dit qu’aucune traduction ne convenait et qu’il fallait retraduire le texte !

Vous avez travaillé pendant quatre ans à la traduction de cette oeuvre. Comment avez vous rendu compte de son rythme, de sa couleur et de sa musique ?
C’est l’opération mystérieuse de la traduction ! Ce travail a commencé par une véritable écoute du texte ; il s’agissait de s’abandonner à la musique du poème, de s’en imprégner comme le ferait sans doute un chef d’orchestre avec une œuvre musicale. Au delà du travail de littéralité, le plus difficile était de rendre compte de ce rythme propre au Cantique des oiseaux.
Pour y parvenir, j’ai lu beaucoup de Victor Hugo, en particulier La légende des siècles qui m’a beaucoup aidée à trouver le rythme, la musicalité que je recherchais. Il y a, me semble-t-il, une vraie parenté entre son œuvre et celle d’Attâr. Et ce que j’ignorais c’est qu’Hugo avait lu la traduction et que cela lui avait inspiré des pans entiers de sa Légende des siècles !

« La Simorgh représente la toute puissance féminine »

Dans les traductions antérieures à la vôtre, Simorgh est traduit au masculin. Vous avez opté pour le féminin. Pour quelles raisons ?
Tous les traducteurs l’ont traduit par « il » car ils sont partie du principe que Simorgh était Dieu, donc forcément masculin. Ce qui à mon avis est  une erreur d’interprétation. En effet, Attâr a choisi le nom d’un oiseau qui appartient à l’univers de la Vesta, et non au monde islamique. Et dans la Vesta, il s’agit d’un oiseau mythique féminin qui a des attributs dont on sent bien qu’ils sont divins. Par ailleurs, dans les œuvres qui ont précédé celle d’Attâr, la Simorgh est représentée comme une entité féminine avec une dimension maternelle, matricielle très importante.
Je pense qu’il y a une très grande profondeur psychanalytique dans le sens où la Simorgh représente aussi la toute puissante féminine. De plus, cela fonctionne très bien en français car il y a beaucoup de noms d’oiseaux qui sont féminins. J’ai profité de cette particularité de la langue française.

Le poème est-il accessible à tous ?
L’oeuvre nous parle de nous dans un langage certes poétique mais qui n’est pas compliqué. Attâr comme tous les grands poètes retrouve après un long cheminement un langage premier qui est tout sauf intellectuel. Il faut se laisser aller à des images, ne pas essayer de saisir toute la signification. On peut recevoir le texte puis, si l’on est suffisamment réceptif, laisser l’œuvre faire son chemin en nous progressivement. Je crois que parfois on a besoin de mûrir soi-même pour comprendre le poème.

Ce texte est un poème méditatif qui résonne comme un chant sacré. Faut-il selon vous le lire à voix haute ?
Oui, cela ajoute un plus et décuple son effet. Et d’ailleurs si cela avait été possible, j’aurais bien voulu y associer un CD. Je ne désespère pas d’y parvenir un jour !

« Le poème nous invite à entrer dans notre propre profondeur »

Le Cantique oiseaux a été écrit au XIIème siècle. Comment expliquez-vous que presque treize siècles plus tard il résonne de manière si contemporaine et universelle ?
Quelque soit notre culture, où que l’on soit, l’âme humaine est la même. Attâr, qui avant d’être un poète était un guide spirituel, touche à la profondeur de notre humanité, à quelque chose de fondamentalement universel qui nous relie tous. C’est précisément ce qui fait que nous nous reconnaissons humains les uns les autres. Le poème nous invite à entrer dans notre propre profondeur. Et pour ces raisons, je pense que son oeuvre peut traverser encore des siècles, voire des millénaires.

J’ai découvert l’œuvre d’Attâr en lisant un passage* au hasard qui m’a stupéfiée tant par sa beauté et l’intemporalité de sa sagesse. Quel conseil donneriez-vous au néophyte pour lire cette œuvre ? 
Cela dépend dans quelles dispositions d’esprit on se trouve mais néanmoins je conseille de commencer à le lire à partir du début de la réunion des oiseaux et de terminer avec l’arrivée des oiseaux à la Simorgh. Et dans un second temps, lire par exemple les passages de louages divines ou l’Epilogue dans lequel Attâr s’explique sur son art poétique. Mais on peut aussi le lire lire au hasard comme vous l’avez fait !

« Un manuel de travail spirituel »

Que vous a apporté Le Cantique des oiseaux personnellement ?
C’est devenu une référence d’ordre spirituel, ce qui n’était pas le cas au début quand j’ai découvert l’œuvre. Très souvent quand je suis confrontée à des situations où je me pose des questions, je pense aux oiseaux et aux réponses de la huppe. En cela, l’œuvre a rempli la fonction qu’Attâr voulait qu’elle remplisse. C’est presque devenu un manuel de travail spirituel.

Attâr dit à propos de son œuvre : « Mon œuvre porte en elle une vertu étrange. C’est que plus tu l’as lis, plus est elle généreuse. Plus tu pourras la lire, sans cesse y revenir. Et plus à chaque fois tu goûteras ses mérites ». Et vous, continue-t-elle de vous surprendre ?
Cela continue chaque jour ; c’est permanent ! J’ai donné une trentaine de conférences depuis que le livre est paru et à chaque fois je découvre des choses. C’est une véritable joie !

Le Cantique des Oiseaux de Farîd od-dîn ‘Attâr – illustré par la peinture en Islam d’orient – Traduction du persan par Leili Anvar, éd. Diane de Selliers (2016)



* Extrait du « Cantique des Oiseaux » (« Le Débauché »)le_cantique_0

(…)
Ne pose pas sur toi un regard de mépris

Car rien n’est au-dessus de tout ce que tu es

Ton corps est la partie et ton âme est le Tout
Cesse donc de te voir plus faible que tu n’es !

Quand ce Tout à jailli, le corps est apparu
Ton âme s’est élancée et tes membres ont paru

Le corps n’est pas distinct de l’âme, sache le !
Mais elle en fait partie, comme l’âme du Tout
(…)

BIBLIOTHÉRAPIE : RENCONTRE AVEC FABRICE MIDAL

La poésie convoque notre âme et notre corps. Elle est accessible à tous et peut nous transformer profondément. « En poésie comme en méditation, par le miracle de l’attention, le minuscule devient immense », souligne Fabrice Midal dans « Etre au monde, 52 poèmes pour apprendre à méditer » (Éditions Les Arènes, 2015). Philosophe, auteur d’une vingtaine d’ouvrages, éditeur mais aussi fondateur de l’Ecole Occidentale de méditation, il donne à entendre – grâce au CD qui accompagne le livre – les poèmes de Verlaine, Whitman, Rilke ou encore Michel-Ange.
« Être pleinement soi », « Vivre est bon », « S’accorder au monde »…  chacun est invité à méditer en s’abandonnant à l’écoute de ces textes parfois méconnus, singuliers, toujours profonds. Une expérience poétique unique pour s’initier à la méditation autrement.

ENTRETIEN AVEC UN ESPRIT LIBRE

Crédit photo, Editions Les Arènes

Comment est né ce livre ?
Cela fait très longtemps que la poésie fait partie de ma vie. Nous avons tendance à tort à identifier la méditation à un ensemble de références religieuses. Mais dans la méditation, il n’y a pas de croyance ni de rituel. Il s’agit juste de rentrer dans le moment présent, exactement tel qu’il est. Et je crois qu’en Occident c’est la poésie qui témoigne le plus de cette expérience de présence, d’ouverture, de nudité, de tendresse, et de chaleur.

Utilisez-vous la poésie dans votre pratique quotidienne de la méditation ?
Quand j’enseigne la méditation, il m’arrive souvent de m’appuyer sur un poème. Les gens ont  l’impression que la méditation est une technique et l’enjeu c’est de réussir à montrer que méditer c’est changer son rapport au monde. Et la poésie parle justement de l’ampleur de l’existence.

Comment avez-vous sélectionné les poèmes ?
Je voulais trouver 52 poèmes qui puissent parler à tout le monde et faire une sorte de panthéon des  poèmes parmi les plus importants. Je ne voulais aucun poème mièvre auquel on identifie la poésie généralement. Selon moi, la poésie a avoir avec une profonde radicalité. J’avais à cœur de choisir des poèmes étrangers car dans de nombreux pays, la poésie ne s’est pas restreinte à quelque chose d’intellectuel. Aux Etats-Unis par exemple,  lors de l’intronisation de chaque président démocrate, un poète est convié à lire un de ses textes. Inimaginable en France!

Un poème c’est la chose qu’on doit dire quand on ne peut plus dire autre chose.

Dans votre livre, j’ai découvert ce poème incroyable de Walt Whitman, « Chant de moi-même »* qui est d’une force inouïe. Pouvez-vous nous en dire un mot ?
Au lendemain des attentats, je devais faire une journée de méditation et je ne savais vraiment pas quoi dire. Comme tout le monde j’étais dans un état de choc, d’effroi et j’ai lu « Chant de moi-même ». Tout le monde a compris ; d’un coup, cela a apaisé le cœur des personnes présentes ; j’étais très étonné. Un poème c’est la chose qu’on doit dire quand on ne peut plus dire autre chose.

Pourquoi la poésie nous touche-t-elle autant ?
La langue de la poésie n’est pas celle du journal ou de de la télévision, c’est une langue qui parle de l’expérience de manière beaucoup plus direct et intime. Tout être humain a besoin d’une parole vivante quand la parole est morte. La plupart des gens ont peur de la poésie, ont l’impression que c’est compliqué alors même que les enfants adorent cela. Il y a quelques mois, j’ai rencontré un grand psychothérapeute qui me racontait qu’en lisant des poèmes à des enfants, cela les aidait à se transformer même s’ils ne comprenaient pas tout.

Le poème est « une poignée de main »

Comme l’expliquez-vous ?
Les poèmes oeuvrent profondément en nous. Ils nous guérissent et peuvent souvent aider dans les moments difficiles et heureux de la vie. Il n’y a pas de message dans un poème : il y a une parole qui parle par son ton, sa lumière, sa couleur. Ce ne sont pas juste des mots. Comme le disait le poète Paul Ceylan, le poème est « une poignée de main ».

Auriez- vous un poème dont vous  aimeriez conseiller la lecture ?
On ne peut pas conseiller un poème. Ouvrez mon livre au hasard et prenez celui qui vient à vous !



*Chant de moi-même

ResizedImage304441-couverture-etre-au-monde
Walt Whitman, un cosmos, de Manhattan le fils, Turbulent, bien en chair, sensuel, mangeant, buvant et procréant,
Pas sentimental, pas dressé au-dessus des autres ou à l’écart d’eux
Pas plus modeste qu’immodeste.
Arrachez les verrous des portes!
Arrachez les portes mêmes de leurs gonds!
Qui dégrade autrui me dégrade
Et rien ne se dit ou se fait, qui ne retourne enfin à moi.
A travers moi le souffle spirituel s’enfle et s’enfle, à travers moi c’est le courant et c’est l’index.
Je profère le mot des premiers âges, je fais le signe de démocratie,
Par Dieu! Je n’accepterai rien dont tous ne puissent contresigner la copie dans les mêmes termes.
A travers moi des voix longtemps muettes
Voix des interminables générations de prisonniers, d’esclaves,
Voix des mal portants, des désespérés, des voleurs, des avortons,
Voix des cycles de préparation, d’accroissement,
Et des liens qui relient les astres, et des matrices et du suc paternel.
Et des droits de ceux que les autres foulent aux pieds,
Des êtres mal formés, vulgaires, niais, insanes, méprisés,
Brouillards sur l’air, bousiers roulant leur boule de fiente.
A travers moi des voix proscrites,
Voix des sexes et des ruts, voix voilées, et j’écarte le voile,
Voix indécentes par moi clarifiées et transfigurées.
Je ne pose pas le doigt sur ma bouche
Je traite avec autant de délicatesse les entrailles que je fais la tête et le coeur.
L’accouplement n’est pas plus obscène pour moi que n’est la mort.
J’ai foi dans la chair et dans les appétits,
Le voir, l’ouïr, le toucher, sont miracles, et chaque partie, chaque détail de moi est un miracle.
Divin je suis au dedans et au dehors, et je sanctifie tout ce que je touche ou qui me touche.
La senteur de mes aisselles m’est arôme plus exquis que la prière,
Cette tête m’est plus qu’église et bibles et credos.
Si mon culte se tourne de préférence vers quelque chose, ce sera vers la propre expansion de mon corps, ou vers quelque partie de lui que ce soit.
Transparente argile du corps, ce sera vous!
Bords duvetés et fondement, ce sera vous!
Rigide coutre viril, ce sera vous!
D’où que vous veniez, contribution à mon développement, ce sera vous!
Vous, mon sang riche! vous, laiteuse liqueur, pâle extrait de ma vie!
Poitrine qui contre d’autres poitrines se presse, ce sera vous!
Mon cerveau ce sera vos circonvolutions cachées!
Racine lavée de l’iris d’eau! bécassine craintive! abri surveillé de l’oeuf double! ce sera vous!
Foin emmêlé et révolté de la tête, barbe, sourcil, ce sera vous!
Sève qui scintille de l’érable, fibre de froment mondé, ce sera vous!
Soleil si généreux, ce sera vous!
Vapeurs éclairant et ombrant ma face, ce sera vous!
Vous, ruisseaux de sueurs et rosées, ce sera vous!
Vous qui me chatouillez doucement en frottant contre moi vos génitoires, ce sera vous!
Larges surfaces musculaires, branches de vivant chêne, vagabond plein d’amour sur mon chemin sinueux, ce sera vous!
Mains que j’ai prises, visage que j’ai baisé, mortel que j’ai touché peut-être, ce sera vous!
Je raffole de moi-même, mon lot et tout le reste est si délicieux!
Chaque instant et quoi qu’il advienne me pénètre de joie,
Oh! je suis merveilleux!
Je ne sais dire comment plient mes chevilles, ni d’où naît mon plus faible désir.
Ni d’où naît l’amitié qui jaillit de moi, ni d’où naît l’amitié que je reçois en retour.
Lorsque je gravis mon perron, je m’arrête et doute si ce que je vois est réel.
Une belle-de-jour à ma fenêtre me satisfait plus que toute la métaphysique des livres.
Contempler le lever du jour!
La jeune lueur efficace les immenses ombres diaphanes
L’air fleure bon à mon palais.
Poussées du mouvant monde, en ébrouements naïfs, ascension silencieuse, fraîche exsudation,
Activation oblique haut et bas.
Quelque chose que je ne puis voir érige de libidineux dards
Des flots de jus brillant inondent le ciel.
La terre par le ciel envahie, la conclusion quotidienne de leur jonction
Le défi que déjà l’Orient a lancé par-dessus ma tête,
L’ironique brocard: Vois donc qui de nous deux sera maître!

BIBLIOTHÉRAPIE : RENCONTRE AVEC DEBORAH ALMA

Deborah Alma n’a pas froid aux yeux. Après un parcours atypique, la quinquagénaire s’est inventée un métier qui associe son amour de la poésie et son goût pour les autres :  prescriptrice de poésie.
A bord d’une ambulance des années 1970 achetée sur Ebay, cette amoureuse des mots sillonne l’Angleterre à la rencontre d’un public composé de curieux et d’âmes cabossées par la vie. Dans son antre nomade, Déborah est entourée de flacons remplis… de poèmes qu’elle offre à ses « patients » en fonction de leur demande ou de leurs « symptômes ».
Et ça fonctionne ! Les festivals, les hôpitaux, les écoles s’arrachent cette drôle de dame qui s’est donnée comme mission de semer dans les cœurs des graines de poésie vivante.

ENTRETIEN AVEC UNE POÉTESSE URGENTISTE

 

2172198697D’où  vient votre amour pour la poésie ?
J’ai grandi dans un quartier du nord de Londres où la poésie était quasiment inexistante ! Mais ma grand-mère qui a beaucoup compté pour moi aimait les poèmes et les comptines. Cela m’a influencée. Adulte, je suis revenue à la poésie avec la maternité : alors maman de d’enfant en bas âge, j’ai trouvé qu’il était plus facile de leur lire des poèmes plutôt que de longues histoires.

« Guérir les personnes atteintes de démence avec de la poésie »

Comment vous est venue l’idée de prescrire de la poésie  ?
L’idée a fait tilt mon esprit et m’est tombée dessus comme une évidence. « Evangéliste » de la poésie, j’ai travaillé avec des personnes atteintes de démence, dans les écoles primaires où j’ai fait de l’alphabétisation ; j’ai aussi passé beaucoup de temps à écouter les problèmes de mes amis, avec toujours la poésie comme support : « Emergency poet » a commencé comme cela. Etant mère célibataire, je n’avais personne sur le dos pour me dire que mon projet était insensé !

Déborah, vous recevez vos « patients » dans une ambulance. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le déroulement de vos consultations?
Le « patient » pénètre à l’arrière de l’ambulance. Il s’allonge sur une civière. Puis je lui pose des questions sur ses goûts, ses préférences littéraires mais aussi sur ses motivations personnelles. Au terme de la consultation, je sélectionne un poème et je lis les passages auxquels le patient devra accorder une attention toute particulière.

Faites-vous des recommandations particulières aux personnes qui viennent vous consulter ?
Oui! Je leur suggère de trouver un endroit calme propice à l’ingestion de leur « remède poétique ». Et précise le contexte dans lequel il doit être pris : par exemple, avec une boisson chaude avant d’aller se coucher ou en écoutant un chant d’oiseaux !

« La poésie est une prière »

La poésie a-t-elle  réellement des vertus thérapeutiques ?
La poésie est ce qui permet de nous relier, d’entrer en empathie. La poésie, c’est une prière, un chant, qui apaise, rassure, réconforte, nous aide à ne plus nous sentir seul et participe de notre guérison émotionnelle.

Quel est le dernier poème que vous vous êtes prescrit à vous même ?
Voilà une belle question! Il y a tellement de mauvaises nouvelles dans le monde à l’heure actuelle qu’il est parfois difficile de rester positif, alors je me répète mentalement un poème de Adam Zagajewski intitulé Try to Praise Monde Mutilated (Essayez de louer le monde mutilé*).

Deborah Alma est également l’auteure d’un livre « Emergency Poet : An anti-stress Poetry Anthologie » (en anglais uniquement). Une sélection de poèmes qu’elle utilise régulièrement pour soigner l’anxiété, le stress, l’insomnie… Pour en savoir plus  : www.emergencypoet.com.



*Try to Praise the Mutilated World

Remember June’s long days,
and wild strawberries, drops of rosé wine.
The nettles that methodically overgrow
the abandoned homesteads of exiles.
You must praise the mutilated world.
You watched the stylish yachts and ships;
one of them had a long trip ahead of it,
while salty oblivion awaited others.
You’ve seen the refugees going nowhere,
you’ve heard the executioners sing joyfully.
You should praise the mutilated world.
Remember the moments when we were together
in a white room and the curtain fluttered.
Return in thought to the concert where music flared.
You gathered acorns in the park in autumn
and leaves eddied over the earth’s scars.
Praise the mutilated world
and the gray feather a thrush lost,
and the gentle light that strays and vanishes
and returns.

BIBLIOTHÉRAPIE : RENCONTRE AVEC… ELLA BERTHOUD


Ella Berthoud est peintre, romancière et surtout bibliothérapeute. Elle a écrit avec Susan Elderkin  Remèdes Littéraires  publié chez JC Lattès. »Abandon », «  désespoir », « peur de la solitude », … mais aussi « calvitie et « jambe cassée », cet abécédaire propose pathologie par pathologie une sélection de livres-médicaments. Une bible de référence riche et très documentée traversée de notes joyeuses et humoristiques typiquement british.

ENTRETIEN AVEC UNE BIBLIOTHÉRAPEUTE PASSIONNÉE


Ella-Berthoud-Bibliotherapist Votre livre contient des centaines de remèdes littéraires. Pensez-vous qu’ils ont vraiment le pouvoir de nous guérir ?
Oui ! Un bon livre lu au bon moment a un effet profond et durable sur le lecteur. Dans des périodes de dépression, de rupture amoureuse douloureuse ou d’épisodes stressants comme un déménagement ou un changement professionnel, les livres ont la capacité de changer notre vie.

Vous êtes bibliothérapeute. Comment se déroule une séance type de bibliothérapie ?
Au préalable, nous envoyons un questionnaire à la personne pour connaître ses goûts littéraires, sa situation personnelle  mais aussi ses inquiétudes, ses angoisses. Puis, nous nous rencontrons pendant 50 minutes pour approfondir les problématiques abordées dans le questionnaire et savoir quels livres la personne apprécient, ceux qu’elle déteste et prendre en compte ce qui la préoccupe dans sa vie personnelle ou professionnelle.
Le bibliothérapeute prend des notes pendant l’entretien et dans un second temps envoie une prescription de 6 livres en expliquant les raisons de son choix.


« Un bon livre a le pouvoir de guérir (…) de manière potentiellement aussi puissante que la médecine conventionnelle. »

Les livres peuvent-ils avoir des effets thérapeutiques comparables à ceux d’un médicaments ou d’une psychothérapie ?
Oui, mais d’une manière différente. Quand une personne est malade, que ce soit psychologique ou physique, elle doit évidemment toujours consulter l’avis d’un médecin. Mais un bon livre a le pouvoir de guérir, de calmer, d’encourager et de soulager potentiellement de manière aussi puissante que la médecine conventionnelle.

La littérature peut-elle changer notre vision du monde ?
Prenez L’Attrape-cœurs de Salinger, Le Grand Meaulnes d’Alain Fournier, Arthur C. Clarke, Ray Bradbury, Emile Zola ou encore Tolstoï…tous ces grands auteurs nous font voir les choses différemment et nous incitent à imaginer de nouvelles alternatives pour nous-même mais aussi pour l’humanité. La lecture questionne notre rapport à la vie. Et pour les enfants, elle est la clé qui ouvre la porte de l’inconnu, donne accès à des territoires inexplorés. 

« Prenez le temps de lire au moins une demi-heure par jour un bon livre ! »

Quels remèdes littéraires peuvent nous aider dans les épreuves de la vie ?
Dans notre livre, nous proposons des lectures thérapeutiques pour ceux qui ont le cœur brisé*, ceux qui veulent prendre soin de leur proche atteint de cancer ou encore qui ceux se posent des questions sur leur désir ou non d’enfants**… Quelque soit le cas de figure, prenez le temps de lire au moins une demi-heure par jour un bon livre !

Pourquoi selon vous la fiction et la poésie constituent les meilleures formes de bibliothérapie ?
Parce lorsque vous lisez un grand roman, vous vous immiscez dans la peau des personnages, vous prenez part à leur vie, et cette expérience peut s’avérer aussi forte que si vous l’aviez vécu vous-même.

Quel est le dernier livre qui vous a fait du bien ?
L’été dramatique de Moumine, un livre pour enfant de Tove Janssen. C’est un livre plein de sagesse et d’humour que je relis régulièrement et qui me réconforte. J’ai grandi en Finlande et j’adore les histoires de Tove Jansson. Elles me replongent dans mon enfance, dans un monde magique et de forêts peuplées pleines de créatures enchantées, où l’on peut voler au-dessus des nuages!



9782709648639-001-X_0QUELQUES LIVRES QUI SOIGNENT
Sélection de prescriptions concoctées par Ella Berthoud et Susan Elderkin dans Remèdes littéraires

Vous ne savez pas saisir votre chance
 ?
Lisez  Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire de Jonas Jonasson, Pocket, 2012.

Vous voulez devenir un autre ?

Lisez Ladivine de Marie NDiaye, Folio, 2014

Vous êtes résistant au changement ?
Lisez Le Singe pélerin ou le pèlerinage d’Occident de Wou Tch’eng-en, Payot, 2003

Vous êtes perdu ?
Lisez La maison des feuilles de Mark Z. Danielewski, Points, 2015.

* Vous avez un chagrin d’amour ?
Lisez  Jane Eyre de Charlotte BrontëFolio, 2012

** Vous êtes sous pression pour avoir des enfants ?
Lisez  Il faut qu’on parle de Kevin de Lioner Schriver, J’ai Lu, 2011

 

BIBLIOTHÉRAPIE : RENCONTRE AVEC… LA FÉE CAROLE MARTINEZ

C’est l’histoire de Blanche, une petite fille dont le récit se conjugue avec celui de son fantôme, la Vieille âme. Nous sommes en 1361. Blanche a 11 ans et demi et voudrait savoir écrire les lettres de son prénom pour les broder au fil rouge sur sa chemise.
A l
occasion de la sortie de La Terre qui penche publié chez Gallimard, (lire la chronique ICI), la romancière Carole Martinez revient sur les dessous de son troisième roman placé sous le signe  de l’enfance, du merveilleux et de la résilience.  

ENTRETIEN AVEC UNE BRODEUSE DE MOTS  SOUS PERFUSION POÉTIQUE

C.-MARTINEZ

Comment est né ce roman à deux voix, alternant les récits de Blanche, une petite fille et de son fantôme, « la vieille âme » ?
J’ai assisté à une semaine d’intervalle à deux magnifiques lectures de mon roman précédent Du domaine des Murmures dans lequel un premier fantôme, nommé Esclarmonde, nous racontait sa vie de jeune femme, de recluse et de mère. Marie-Christine Barrault tirait le texte du côté sombre de la très vieille âme, décortiquant la jeune femme, jugeant la femme qu’elle avait été des siècle auparavant, elle nous embarquait du côté de l’esprit. Christiane Cohendy a lu le même texte quelques jours plus tard, mais elle a choisi de dessiner une Esclarmonde toute jeune, toute pleine de sensations et d’appétits, elle nous offrait un corps vibrant, une présence lumineuse.

J’aime l’idée de permettre à deux moments d’une même personne de se rencontrer. Je voulais mesurer comment se fabriquent un souvenir, une enfance, une vie.

Un même texte portait deux lectures, deux facettes d’un même personnage. J’ai décidé de scinder mon héroïne suivante en deux voix. Blanche est une très vieille âme qui hante le Domaine des Murmure, un peu aigre, pleine d’ennui, qui écoute son enfance se raconter au présent et se laisse contaminer par son discours. la veille âme analyse ce que la petite file qu’elle a été se contente de vivre. La vieille âme se souvient en écoutant la petite fille, elle s’émerveille, elle reprend vie, elle goûte, elle voit, elle entend, elle tremble, elle qui n’a plus de corps. J’aime l’idée de permettre à deux moments d’une même personne de se rencontrer. Je voulais mesurer comment se fabriquent un souvenir, une enfance, une vie. 

Blanche est une petite fille, dure et tendre à la fois, lucide et en même temps pleine de cette poésie propre à l’enfance. Qu’y a-t-il de vous dans ce personnage ?
Enfant, j’étais très imaginative, le jour j’habitais un monde merveilleux. Mais la nuit mon imaginaire se retournait contre moi et tentait de me dévorer. Combien de nuits ai-je veillé en lisant des poèmes à voix haute pour lutter contre le silence et la peur, attendant les premiers chants des oiseaux pour parvenir à tordre le cou aux créatures monstrueuses que je m’inventais, pour m’endormir enfin ? J’étais pleine de contes et de cauchemars qu’écrire me permettait de maîtriser.

Vos personnages continuent-ils de vous habiter une fois l’écriture du roman achevé ?
Non, à l’exception de ceux qui reviendront. La Dame Verte a encore des choses à vivre, je n’ai pas exploré toute sa force, tout son potentiel féérique. Etrangement, le roman terminé, les personnages ne m’appartiennent plus, ils deviennent les créatures du lecteurs. Je ne me mêle plus de ce qu’il en fait. Je tremble pour eux, j’ai peur qu’ils ne trouvent pas leur route, qu’ils ne soient pas aimés, que vous n’ayez pas envie de les suivre, j’ai peur qu’ils restent seuls et incompris, mais je ne suis plus là, dans le livre à côté d’eux. Je ne peux plus grand chose pour eux. Et je coupe le fil.

Dans vos romans, le réel et l’imaginaire, le visible et l’invisible se côtoient, s’enchevêtrent pour ne former qu’une seule réalité. Est-ce votre vision du monde ?
Oui, mais un peu malgré moi. Ma grand-mère croyait en beaucoup de choses, elle avait des prières pour guérir et était persuadée que je pouvais voir les morts. J’ai toujours ri de ses superstitions, de ses frayeurs, de ses certitudes, mais malgré moi, tout cela, cet univers merveilleux dont elle était la gardienne, m’est passé dans le sang.

Vos romans donnent vie à des femmes mues par une force créatrice qui les pousse à transcender leur destin. En quoi est-ce important pour vous de raconter et de mettre en scène le Féminin ?
Sans doute car je suis la descendante d’une femme jouée et perdue au jeu par son mari, d’une femme qui a ouvert une lignée de résistantes en partant seule avec ses enfants sur les routes, une lignée qui, en s’offrant ce conte de Frasquita Carasco en héritage (seul héritage), se donnait force et courage, et courait après une autonomie, un pouvoir sur soi-même, sur ses désirs.

Apprendre à écrire pour s’écrire un destin. Voilà le pouvoir !

Et en cherchant dans l’histoire des femmes, on découvre tant de blancs, tant de silences, que l’envie peut soudain vous prendre de tendre l’oreille et d’imaginer leurs murmures, de peupler ce silence. Dans mon premier roman , Anita, la conteuse, affirme que ce qui n’a pas été écrit est féminin. Alors, je me mets au boulot.

Pourquoi écrivez-vous ?
Pour le plaisir !

Un conseil de lecture ?
Dans les livres de la rentrée, j’ai beaucoup aimé : Sorj Chalandon, « Profession du père », « Otages intimes » de Jeanne Benameur et « L’oiseau du bon Dieu » de James Mcbride.

 


La bibliothérapie de Carole Martinez

  • L’oratorio de Noël de Göran Tunström : Son gigantesque souffle romanesque nous emporte sur trois générations, nous promène à fleur de peau dans la petite ville suédoise de Sunne, nous fait toucher au sublime, à la folie, à la grâce. Un chef d’oeuvre !
  • Tandis que j’agonise de William Faulkner : Des voix soliloquent autour du cercueil d’une mère. Le père, qui a décidé de conduire la dépouille de sa femme en ville pour l’y enterrer, impose une folle odyssée à ses enfants. Les éléments semblent se liguer pour empêcher la cohorte familiale d’avancer.

  • La vie devant soi d’Emile Ajar : J’avais dix-huit ans quand j’ai trouvé ce livre chez les parents de mon ex. C’était le soir de notre rupture, il me fallait un texte pour respirer entre deux sanglots. « La vie devant soi ». Un titre idéal pour une gamine persuadée que le soleil venait de s’éteindre. J’en ai oublié ma peine !

  • Si tout n’a pas péri avec mon innocence : Un roman d’Emmanuelle Bayamack-Tam à la fois cintré et bouleversant, plein de rires et de larmes. Un livre féroce et poétique, une œuvre sur l’enfance qui vous prend à la gorge et qui serre.

  • Ce que je sais de Véra Candida : la dinguerie poétique de Véronique Ovaldé souligne l’énergie des résiliantes que sont ses grandes héroïnes. L’histoire d’une lignée de femmes contée par une voix exceptionnelle. Un bonheur de lecture traversé de poissons volants !

 

BIBLIOTHÉRAPIE : RENCONTRE AVEC… TRISTAN MOIR

Tristan Moir est l’auteur de L’interprétation psychanalytique des rêves* (lire la chronique ICI). Psychanalyste et psychothérapeute spécialisé dans l’onirologie depuis plus de vingt ans, il a créé en 2007 une école de formation au langage du rêve – langage dont il est le spécialiste – destinée aux thérapeutes. Il anime également une émission hebdomadaire en direct sur la radio « Ici & Maintenant ! » dédiée à l’interprétation des rêves.

ENTRETIEN AVEC UN ACCOUCHEUR DE RÊVES BAVARD ET PASSIONNANT.

IMG_1439Parlez-nous de votre méthode d’interprétation  psychanalytique des rêves.
Elle repose sur l’étude du langage onirique. En appréhendant la structure du rêve – sa syntaxe, sa sémantique – et en analysant les images et les symboles qui y ont associés, le rêve dévoile l’identité réelle du rêveur. Il éclaire ses blocages mais aussi les points faibles et les points forts de son histoire ancienne et actuelle qui permette de comprendre son état émotionnel et d’élaborer une interprétation claire et thérapeutique du rêve.

Les rêves fascinent mais leur compréhension nous échappent souvent. Pourquoi ?Parce que le rêve utilise un langage codé, des subterfuges comme des paraboles ou des métaphores, ainsi que des glissements sémantiques comme des jeux de mots. Sa fonction est de passer la barrière du surmoi, afin de ne pas choquer l’ordre moral, pour délivrer des messages que le rêveur n’est pas capable d’entendre et d’assimiler consciemment.

Et les cauchemars ?
On parle de cauchemar quand le rêveur est acculé ; l’angoisse est alors tellement forte qu’elle provoque le réveil ; le rêveur est incapable d’assumer le contenu manifesté par les images latentes du rêve. Cette charge émotionnelle importante présente dans le rêve est symptomatique d’un trauma de l’enfant induisant un blocage dans la réalité.

Le rêve peut-il nous en libérer ? 
C’est le but  même de l’interprétation du rêve : agir  de manière conscience sur les causes  des blocages et produire une action thérapeutique bénéfique qui puisse faire disparaître le malaise et ses symptômes.

Peut-on inverser ou changer le cours de ses rêves ?
C’est possible. Si vous rêvez par exemple de manière récurrente que vous êtes poursuivie par des hommes armés, l’idée est d’oser vous retourner pour regarder votre peur en face. Se confronter aux croyances dont le rêve est porteur permet de s’en délivrer.

Que conseillez-vous pour y parvenir ?
Avant de s’endormir, il faut vider le mental et visualiser la scène que l’on souhaiterait modifier.

Peut-on interpréter soi-même ses rêves ?
C’est compliqué d’analyser ses propres rêves car nous sommes forcément subjectifs et manquons de distance face à nous-même.

Pour ma part, j’écris mes rêves les plus marquants. C’est une bonne chose selon vous ?
Ecrire, c’est très bien car cela donne de la valeur au rêve et confère une forme au désir personnel et à notre véritable nature qui se sont exprimés pendant la nuit. Mais il ne faut pas le faire de manière compulsive. Une fois par semaine, c’est suffisant !

Etes-vous vous même un grand rêveur ?
Je l’ai été mais je ne le suis plus. Quand on a fait un travail sur soi, un travail intérieur profond, on rêve moins. Les rêves deviennent moins bavards et plus synthétiques !

Ma petite bibliothérapie parle des livres qui nous « soignent ». Et vous, quel est le livre qui vous faire du bien ?
J’ai un livre qui m’accompagne depuis de nombreuses années: « Le Prophète » de Khalil Gibran. C’est mon livre de chevet !

* L’interprétation psychanalytique des rêves, L’Archipel, 2014, 22 €.