BIBLIOTHÉRAPIE : RENCONTRE AVEC… TRISTAN MOIR

Tristan Moir est l’auteur de L’interprétation psychanalytique des rêves* (lire la chronique ICI). Psychanalyste et psychothérapeute spécialisé dans l’onirologie depuis plus de vingt ans, il a créé en 2007 une école de formation au langage du rêve – langage dont il est le spécialiste – destinée aux thérapeutes. Il anime également une émission hebdomadaire en direct sur la radio « Ici & Maintenant ! » dédiée à l’interprétation des rêves.

ENTRETIEN AVEC UN ACCOUCHEUR DE RÊVES BAVARD ET PASSIONNANT.

IMG_1439Parlez-nous de votre méthode d’interprétation  psychanalytique des rêves.
Elle repose sur l’étude du langage onirique. En appréhendant la structure du rêve – sa syntaxe, sa sémantique – et en analysant les images et les symboles qui y ont associés, le rêve dévoile l’identité réelle du rêveur. Il éclaire ses blocages mais aussi les points faibles et les points forts de son histoire ancienne et actuelle qui permette de comprendre son état émotionnel et d’élaborer une interprétation claire et thérapeutique du rêve.

Les rêves fascinent mais leur compréhension nous échappent souvent. Pourquoi ?Parce que le rêve utilise un langage codé, des subterfuges comme des paraboles ou des métaphores, ainsi que des glissements sémantiques comme des jeux de mots. Sa fonction est de passer la barrière du surmoi, afin de ne pas choquer l’ordre moral, pour délivrer des messages que le rêveur n’est pas capable d’entendre et d’assimiler consciemment.

Et les cauchemars ?
On parle de cauchemar quand le rêveur est acculé ; l’angoisse est alors tellement forte qu’elle provoque le réveil ; le rêveur est incapable d’assumer le contenu manifesté par les images latentes du rêve. Cette charge émotionnelle importante présente dans le rêve est symptomatique d’un trauma de l’enfant induisant un blocage dans la réalité.

Le rêve peut-il nous en libérer ? 
C’est le but  même de l’interprétation du rêve : agir  de manière conscience sur les causes  des blocages et produire une action thérapeutique bénéfique qui puisse faire disparaître le malaise et ses symptômes.

Peut-on inverser ou changer le cours de ses rêves ?
C’est possible. Si vous rêvez par exemple de manière récurrente que vous êtes poursuivie par des hommes armés, l’idée est d’oser vous retourner pour regarder votre peur en face. Se confronter aux croyances dont le rêve est porteur permet de s’en délivrer.

Que conseillez-vous pour y parvenir ?
Avant de s’endormir, il faut vider le mental et visualiser la scène que l’on souhaiterait modifier.

Peut-on interpréter soi-même ses rêves ?
C’est compliqué d’analyser ses propres rêves car nous sommes forcément subjectifs et manquons de distance face à nous-même.

Pour ma part, j’écris mes rêves les plus marquants. C’est une bonne chose selon vous ?
Ecrire, c’est très bien car cela donne de la valeur au rêve et confère une forme au désir personnel et à notre véritable nature qui se sont exprimés pendant la nuit. Mais il ne faut pas le faire de manière compulsive. Une fois par semaine, c’est suffisant !

Etes-vous vous même un grand rêveur ?
Je l’ai été mais je ne le suis plus. Quand on a fait un travail sur soi, un travail intérieur profond, on rêve moins. Les rêves deviennent moins bavards et plus synthétiques !

Ma petite bibliothérapie parle des livres qui nous « soignent ». Et vous, quel est le livre qui vous faire du bien ?
J’ai un livre qui m’accompagne depuis de nombreuses années: « Le Prophète » de Khalil Gibran. C’est mon livre de chevet !

* L’interprétation psychanalytique des rêves, L’Archipel, 2014, 22 €.

 

LE SYNDROME DU POISSON-LUNE

Depuis 1997, Emmanuel Druon est à la tête de Pocheco, une usine de fabrication d’enveloppes de 114 salariés, à Forest-sur-Marque, dans la région lilloise. En l’espace de quelques années, ce dirigeant atypique et avant-gardiste, a transformé de fond en comble l’entreprise selon une notion qu’il a baptisée « Ecolomie » : un doux mélange d’écologie et d’économie. Il incarne une voie alternative, à contre-courant du modèle dominant dont il dénonce ici les ravages. 

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« Le syndrome du poisson-lune. Un manifeste d’anti-management »Quand j’ai entendu pour la première fois le titre de ce livre, le mot « management » m’a sauté à la figure. Pendant quelques millièmes de secondes, mon mental s’est mis à tourbillonner : reporting, évaluation, contrôle, process, … Autant vous dire que je suis passée en un claquement de doigt de 1 à 10 sur l’échelle du stress. Avant que mon cerveau ne revienne à la raison et comprenne qu’il s’agissait là d’ANTI-management. Ouf !

Dans ce livre publié dans la belle collection « Domaine du possible » en partenariat avec le mouvement Colibris, Emmanuel Druon revient dans un premier temps sur la tentative de rachat de la papèterie de Docelles dans les Vosges.
Le récit de ses tractations avortées avec des consultants arrogants durant lesquelles il se sent un peu comme « Oui-Oui face à la World Compagny » se lit comme un roman. Un roman noir qui montre le cynisme d’un système dont le profit constitue l’alpha et l’oméga.

« Le poisson-lune est le seul organisme vivant qui croît sans discontinuer, jusqu’à la mort ».

Chaque salarié à son niveau a pu en subir les effets. Car la recette est toujours la même : une bonne dose de contrôle, une pincée généreuse de petits chefs zélés et serviles, une grosse cuillère de process absurdes et de « franglais », une louche de manipulation, le tout saupoudré de « dialogue » et de « prévention des risques psycho-sociaux ». C’est un peu comme une viande avariée que l’on camoufle sous une sauce épicée, la digestion peut s’avérer difficile. Voire mortelle. 

Ce modèle érigé en dogme et répété tel un mantra hypnotique par la plupart des entreprises ne profite à personne, souvent pas même au client qu’il est sensé servir. Il écorche la terre et aliènent les hommes.

Evidemment, rien de tout cela chez Pocheco. Emmanuel Druon raconte le soin apporté à la terre et aux hommes justement. De quoi donner de l’espoir à tous les salariés désenchantés qui comme moi croyaient les maux de l’entreprise incurables.

Récupération des eaux de pluie, valorisation des déchets, dans son usine, rien ne se perd tout se transforme. On y trouve même des ruches et un verger !

Mais ici le respect de l’environnement n’est pas ni un prétexte ni une opération de communication.

« Nous croyons à la douceur […] En libérant les esprits de contraintes absurdes et de systèmes sectaires frôlant parfois, ou les dépassant carrément, les normes de l’acceptable, on retrouve l’intelligence dans toutes ses dimensions. »

De la douceur, du beau et du sensible … comme inspiration au quotidien dans les relations de travail.

A Pocheco, on s’écoute, on partage, on privilégie les talents plutôt que les compétences, la hiérarchie est (quasi) inexistante, les dividendes sont systématiquement réinvestis dans l’entreprise, et le delta entre le plus haut et le plus bas salaire est de 1 à 4.

Et ça marche !  Emmanuel Druon fait la démonstration brillante qu’une autre voie,  économiquement viable, humainement acceptable, est possible et surtout reproductible. Que bonheur au travail peut rimer avec efficacité, autonomie et écologie rimer avec rentabilité !

Un message lumineux qui résonne comme une invitation à modifier radicalement nos comportements. Car de nos choix collectifs mais aussi individuels dépend aujourd’hui ce changement de société.

Et vous qu’en pensez-vous ?

Le Syndrome du Poisson Lune, Actes Sud, 208 pages, 19,80 €