BIBLIOTHÉRAPIE : RENCONTRE AVEC FABRICE MIDAL

La poésie convoque notre âme et notre corps. Elle est accessible à tous et peut nous transformer profondément. « En poésie comme en méditation, par le miracle de l’attention, le minuscule devient immense », souligne Fabrice Midal dans « Etre au monde, 52 poèmes pour apprendre à méditer » (Éditions Les Arènes, 2015). Philosophe, auteur d’une vingtaine d’ouvrages, éditeur mais aussi fondateur de l’Ecole Occidentale de méditation, il donne à entendre – grâce au CD qui accompagne le livre – les poèmes de Verlaine, Whitman, Rilke ou encore Michel-Ange.
« Être pleinement soi », « Vivre est bon », « S’accorder au monde »…  chacun est invité à méditer en s’abandonnant à l’écoute de ces textes parfois méconnus, singuliers, toujours profonds. Une expérience poétique unique pour s’initier à la méditation autrement.

ENTRETIEN AVEC UN ESPRIT LIBRE

Crédit photo, Editions Les Arènes

Comment est né ce livre ?
Cela fait très longtemps que la poésie fait partie de ma vie. Nous avons tendance à tort à identifier la méditation à un ensemble de références religieuses. Mais dans la méditation, il n’y a pas de croyance ni de rituel. Il s’agit juste de rentrer dans le moment présent, exactement tel qu’il est. Et je crois qu’en Occident c’est la poésie qui témoigne le plus de cette expérience de présence, d’ouverture, de nudité, de tendresse, et de chaleur.

Utilisez-vous la poésie dans votre pratique quotidienne de la méditation ?
Quand j’enseigne la méditation, il m’arrive souvent de m’appuyer sur un poème. Les gens ont  l’impression que la méditation est une technique et l’enjeu c’est de réussir à montrer que méditer c’est changer son rapport au monde. Et la poésie parle justement de l’ampleur de l’existence.

Comment avez-vous sélectionné les poèmes ?
Je voulais trouver 52 poèmes qui puissent parler à tout le monde et faire une sorte de panthéon des  poèmes parmi les plus importants. Je ne voulais aucun poème mièvre auquel on identifie la poésie généralement. Selon moi, la poésie a avoir avec une profonde radicalité. J’avais à cœur de choisir des poèmes étrangers car dans de nombreux pays, la poésie ne s’est pas restreinte à quelque chose d’intellectuel. Aux Etats-Unis par exemple,  lors de l’intronisation de chaque président démocrate, un poète est convié à lire un de ses textes. Inimaginable en France!

Un poème c’est la chose qu’on doit dire quand on ne peut plus dire autre chose.

Dans votre livre, j’ai découvert ce poème incroyable de Walt Whitman, « Chant de moi-même »* qui est d’une force inouïe. Pouvez-vous nous en dire un mot ?
Au lendemain des attentats, je devais faire une journée de méditation et je ne savais vraiment pas quoi dire. Comme tout le monde j’étais dans un état de choc, d’effroi et j’ai lu « Chant de moi-même ». Tout le monde a compris ; d’un coup, cela a apaisé le cœur des personnes présentes ; j’étais très étonné. Un poème c’est la chose qu’on doit dire quand on ne peut plus dire autre chose.

Pourquoi la poésie nous touche-t-elle autant ?
La langue de la poésie n’est pas celle du journal ou de de la télévision, c’est une langue qui parle de l’expérience de manière beaucoup plus direct et intime. Tout être humain a besoin d’une parole vivante quand la parole est morte. La plupart des gens ont peur de la poésie, ont l’impression que c’est compliqué alors même que les enfants adorent cela. Il y a quelques mois, j’ai rencontré un grand psychothérapeute qui me racontait qu’en lisant des poèmes à des enfants, cela les aidait à se transformer même s’ils ne comprenaient pas tout.

Le poème est « une poignée de main »

Comme l’expliquez-vous ?
Les poèmes oeuvrent profondément en nous. Ils nous guérissent et peuvent souvent aider dans les moments difficiles et heureux de la vie. Il n’y a pas de message dans un poème : il y a une parole qui parle par son ton, sa lumière, sa couleur. Ce ne sont pas juste des mots. Comme le disait le poète Paul Ceylan, le poème est « une poignée de main ».

Auriez- vous un poème dont vous  aimeriez conseiller la lecture ?
On ne peut pas conseiller un poème. Ouvrez mon livre au hasard et prenez celui qui vient à vous !



*Chant de moi-même

ResizedImage304441-couverture-etre-au-monde
Walt Whitman, un cosmos, de Manhattan le fils, Turbulent, bien en chair, sensuel, mangeant, buvant et procréant,
Pas sentimental, pas dressé au-dessus des autres ou à l’écart d’eux
Pas plus modeste qu’immodeste.
Arrachez les verrous des portes!
Arrachez les portes mêmes de leurs gonds!
Qui dégrade autrui me dégrade
Et rien ne se dit ou se fait, qui ne retourne enfin à moi.
A travers moi le souffle spirituel s’enfle et s’enfle, à travers moi c’est le courant et c’est l’index.
Je profère le mot des premiers âges, je fais le signe de démocratie,
Par Dieu! Je n’accepterai rien dont tous ne puissent contresigner la copie dans les mêmes termes.
A travers moi des voix longtemps muettes
Voix des interminables générations de prisonniers, d’esclaves,
Voix des mal portants, des désespérés, des voleurs, des avortons,
Voix des cycles de préparation, d’accroissement,
Et des liens qui relient les astres, et des matrices et du suc paternel.
Et des droits de ceux que les autres foulent aux pieds,
Des êtres mal formés, vulgaires, niais, insanes, méprisés,
Brouillards sur l’air, bousiers roulant leur boule de fiente.
A travers moi des voix proscrites,
Voix des sexes et des ruts, voix voilées, et j’écarte le voile,
Voix indécentes par moi clarifiées et transfigurées.
Je ne pose pas le doigt sur ma bouche
Je traite avec autant de délicatesse les entrailles que je fais la tête et le coeur.
L’accouplement n’est pas plus obscène pour moi que n’est la mort.
J’ai foi dans la chair et dans les appétits,
Le voir, l’ouïr, le toucher, sont miracles, et chaque partie, chaque détail de moi est un miracle.
Divin je suis au dedans et au dehors, et je sanctifie tout ce que je touche ou qui me touche.
La senteur de mes aisselles m’est arôme plus exquis que la prière,
Cette tête m’est plus qu’église et bibles et credos.
Si mon culte se tourne de préférence vers quelque chose, ce sera vers la propre expansion de mon corps, ou vers quelque partie de lui que ce soit.
Transparente argile du corps, ce sera vous!
Bords duvetés et fondement, ce sera vous!
Rigide coutre viril, ce sera vous!
D’où que vous veniez, contribution à mon développement, ce sera vous!
Vous, mon sang riche! vous, laiteuse liqueur, pâle extrait de ma vie!
Poitrine qui contre d’autres poitrines se presse, ce sera vous!
Mon cerveau ce sera vos circonvolutions cachées!
Racine lavée de l’iris d’eau! bécassine craintive! abri surveillé de l’oeuf double! ce sera vous!
Foin emmêlé et révolté de la tête, barbe, sourcil, ce sera vous!
Sève qui scintille de l’érable, fibre de froment mondé, ce sera vous!
Soleil si généreux, ce sera vous!
Vapeurs éclairant et ombrant ma face, ce sera vous!
Vous, ruisseaux de sueurs et rosées, ce sera vous!
Vous qui me chatouillez doucement en frottant contre moi vos génitoires, ce sera vous!
Larges surfaces musculaires, branches de vivant chêne, vagabond plein d’amour sur mon chemin sinueux, ce sera vous!
Mains que j’ai prises, visage que j’ai baisé, mortel que j’ai touché peut-être, ce sera vous!
Je raffole de moi-même, mon lot et tout le reste est si délicieux!
Chaque instant et quoi qu’il advienne me pénètre de joie,
Oh! je suis merveilleux!
Je ne sais dire comment plient mes chevilles, ni d’où naît mon plus faible désir.
Ni d’où naît l’amitié qui jaillit de moi, ni d’où naît l’amitié que je reçois en retour.
Lorsque je gravis mon perron, je m’arrête et doute si ce que je vois est réel.
Une belle-de-jour à ma fenêtre me satisfait plus que toute la métaphysique des livres.
Contempler le lever du jour!
La jeune lueur efficace les immenses ombres diaphanes
L’air fleure bon à mon palais.
Poussées du mouvant monde, en ébrouements naïfs, ascension silencieuse, fraîche exsudation,
Activation oblique haut et bas.
Quelque chose que je ne puis voir érige de libidineux dards
Des flots de jus brillant inondent le ciel.
La terre par le ciel envahie, la conclusion quotidienne de leur jonction
Le défi que déjà l’Orient a lancé par-dessus ma tête,
L’ironique brocard: Vois donc qui de nous deux sera maître!

Laisser un commentaire