LE SYNDROME DU POISSON-LUNE

Depuis 1997, Emmanuel Druon est à la tête de Pocheco, une usine de fabrication d’enveloppes de 114 salariés, à Forest-sur-Marque, dans la région lilloise. En l’espace de quelques années, ce dirigeant atypique et avant-gardiste, a transformé de fond en comble l’entreprise selon une notion qu’il a baptisée « Ecolomie » : un doux mélange d’écologie et d’économie. Il incarne une voie alternative, à contre-courant du modèle dominant dont il dénonce ici les ravages. 

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« Le syndrome du poisson-lune. Un manifeste d’anti-management »Quand j’ai entendu pour la première fois le titre de ce livre, le mot « management » m’a sauté à la figure. Pendant quelques millièmes de secondes, mon mental s’est mis à tourbillonner : reporting, évaluation, contrôle, process, … Autant vous dire que je suis passée en un claquement de doigt de 1 à 10 sur l’échelle du stress. Avant que mon cerveau ne revienne à la raison et comprenne qu’il s’agissait là d’ANTI-management. Ouf !

Dans ce livre publié dans la belle collection « Domaine du possible » en partenariat avec le mouvement Colibris, Emmanuel Druon revient dans un premier temps sur la tentative de rachat de la papèterie de Docelles dans les Vosges.
Le récit de ses tractations avortées avec des consultants arrogants durant lesquelles il se sent un peu comme « Oui-Oui face à la World Compagny » se lit comme un roman. Un roman noir qui montre le cynisme d’un système dont le profit constitue l’alpha et l’oméga.

« Le poisson-lune est le seul organisme vivant qui croît sans discontinuer, jusqu’à la mort ».

Chaque salarié à son niveau a pu en subir les effets. Car la recette est toujours la même : une bonne dose de contrôle, une pincée généreuse de petits chefs zélés et serviles, une grosse cuillère de process absurdes et de « franglais », une louche de manipulation, le tout saupoudré de « dialogue » et de « prévention des risques psycho-sociaux ». C’est un peu comme une viande avariée que l’on camoufle sous une sauce épicée, la digestion peut s’avérer difficile. Voire mortelle. 

Ce modèle érigé en dogme et répété tel un mantra hypnotique par la plupart des entreprises ne profite à personne, souvent pas même au client qu’il est sensé servir. Il écorche la terre et aliènent les hommes.

Evidemment, rien de tout cela chez Pocheco. Emmanuel Druon raconte le soin apporté à la terre et aux hommes justement. De quoi donner de l’espoir à tous les salariés désenchantés qui comme moi croyaient les maux de l’entreprise incurables.

Récupération des eaux de pluie, valorisation des déchets, dans son usine, rien ne se perd tout se transforme. On y trouve même des ruches et un verger !

Mais ici le respect de l’environnement n’est pas ni un prétexte ni une opération de communication.

« Nous croyons à la douceur […] En libérant les esprits de contraintes absurdes et de systèmes sectaires frôlant parfois, ou les dépassant carrément, les normes de l’acceptable, on retrouve l’intelligence dans toutes ses dimensions. »

De la douceur, du beau et du sensible … comme inspiration au quotidien dans les relations de travail.

A Pocheco, on s’écoute, on partage, on privilégie les talents plutôt que les compétences, la hiérarchie est (quasi) inexistante, les dividendes sont systématiquement réinvestis dans l’entreprise, et le delta entre le plus haut et le plus bas salaire est de 1 à 4.

Et ça marche !  Emmanuel Druon fait la démonstration brillante qu’une autre voie,  économiquement viable, humainement acceptable, est possible et surtout reproductible. Que bonheur au travail peut rimer avec efficacité, autonomie et écologie rimer avec rentabilité !

Un message lumineux qui résonne comme une invitation à modifier radicalement nos comportements. Car de nos choix collectifs mais aussi individuels dépend aujourd’hui ce changement de société.

Et vous qu’en pensez-vous ?

Le Syndrome du Poisson Lune, Actes Sud, 208 pages, 19,80 €

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